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par | 19 novembre 2025 | Roman

19 novembre 2025

Le HeallChapitre 5

Chapitre 5 du roman « La Nouvelle Humanité, le clan des Brevelles ».

Le Heall - Chapitre 5

Image générée par IA

Flash blanc.

La lumière surgit, pleine et complète. Elle engloutit mon monde en un claquement de doigt. Mon corps cesse d’exister dans l’espace, il n’y a plus que cette clarté absolue. Puis, peu à peu, elle se rétracte. Une chaleur douce s’installe à la place, accompagnée d’un parfum d’herbes sèches que je reconnais sans les nommer. Des contours se dessinent, une ombre après l’autre. Les formes s’ordonnent, s’affermissent. Le décor se recompose autour de moi, précis, familier. Quand la dernière brume se retire, Ankhe se tient devant moi et son sourire apaisant m’accueille. Ses yeux verts, profonds et scintillants, me fixent avec une bienveillance qui réchauffe mon âme. Il porte la même tenue et le même ruban rouge cerne sa barbe foisonnante, parfaitement coiffée. Derrière lui, le soleil décline sur l’horizon et allonge les ombres environnantes. Je ressens aussitôt une onde de bien-être me parcourir le corps de bas en haut. Un picotement épidermique salutaire. Je me sens à ma place, bienvenu, comme si cette place de village, au sein du clan des Brevelles était ma terre natale, mon havre de paix. Je salue mon ami et lui fait part de mon ressenti.

– C’est tout à fait normal, me répond-il. Tu viens nous rendre visite en tant qu’énergie pure. Comme je te l’ai dit la dernière fois, seule ta conscience est présente avec nous, bien que nous soyons en mesure de la ressentir et même de la voir pour certains d’entre nous. Tu fais l’expérience de la somme de nos vibrations qui sont bien plus hautes que celles de ton époque. Et, qui plus est, sans les contraintes physiques inhérentes à ton corps.

Il accompagne ses dires par un geste de la main qui englobe toute la place. Je reste à contempler un instant ce lieu plein de charme où la sérénité règne sans partage. Des rires légers résonnent quelque part et je devine une conversation animée à l’ombre d’un arbre fruitier. Comment je le sais ? Aucune idée. Je le ressens, c’est tout. Une brise tiède amplifie le parfum des parterres mellifères et j’aperçois sur ma droite quelques papillons multicolores qui batifolent entre les brins de lavande et les plans de sauge. Je ne crois pas en avoir déjà vu d’aussi colorés, même dans les manuels d’école. Ankhe sourit à nouveau.

– Il y a beaucoup d’espèces animales et végétales qui ont muté depuis ton époque, m’annonce-t-il.

– Je n’avais jamais imaginé que la nature pourrait se réinventer aussi vite et à ce point, acquiesce-je. Elle paraît… plus vivante, plus présente. Comment cela se fait ?

– Simplement parce qu’elle est à nouveau libre d’évoluer comme bon lui semble, répond-il, et elle s’en donne à cœur joie maintenant que les humains n’y déversent plus aucune chimie artificielle.

Subjugué par ce ballet coloré, je prends quelques instants pour m’imprégner de sa beauté. Ankhe s’approche doucement des papillons et tend la main vers eux. Immédiatement, plusieurs spécimens s’approchent en virevoltant et finissent par se poser sur sa paume, dociles, confiants. Je suis stupéfait.

– Comment est-ce possible ? On dirait de la magie… Tu as un produit sur la main pour les attirer ?

Ankhe éclate de rire.

– Bien sûr que non. Je les guide par ma conscience.

– Ta conscience ? Comment ça ? Une sorte de télépathie ?

Il secoue légèrement la main. Les papillons s’envolent à l’unisson et vont rejoindre leurs compagnons autour de la lavande.

– Pas tout à fait. Nous avons compris que chaque être vivant est une expression de la même conscience. Lorsque nous regardons un arbre ou un papillon, nous voyons un autre nous-même.

Il me regarde en coin tandis que je fronce les sourcils. Je ne suis pas sûr de comprendre.

– Dans ton monde, reprend-il, vos connaissances ne font encore qu’effleurer ce concept mais vous allez rapidement devoir évoluer. Tous les êtres vivants, pas seulement les humains, font partie d’un vaste réseau d’une même conscience universelle. Ce que beaucoup d’entre vous appellent encore Dieu. Nous accordons un respect absolu aux animaux et à la nature. Nos interactions avec le vivant en général vont bien au-delà des mots.

– Mais cela signifie que… les humains ne sont plus au sommet de la chaîne ?

Il ne répond pas à ma question et désigne un papillon du doigt. Celui-ci étire ses ailes qui se parent d’un bleu brillant presque lumineux.

– Tu vois ? Ici, tu les observes avec bien plus que ta vision physique. Chaque être vivant est une étincelle de la même flamme.

– Une flamme ? Tu veux dire… la nature ?

– La nature, si tu veux, oui. Toi, moi, ce papillon, nous sommes tous faits de la même source. Chacun de nous est une expression différente de cette origine commune.

Je prends conscience de ses propos.

– Mais alors… tu veux dire que ce papillon a une âme ? Une conscience comme la mienne ?

Ankhe hoche la tête.

– Tout à fait. Mais pas comme la tienne. Sa conscience est différente, mais elle est tout aussi légitime. Ici, nous n’interagissons pas avec les êtres vivants comme s’ils étaient inférieurs à nous, ni même séparés de nous. Nous apprenons à écouter leurs vibrations, leurs besoins, leurs émotions.

Il tend une main ouverte. Le papillon semble hésiter un instant, puis s’envole doucement pour venir se poser sur son annulaire. Ankhe ferme les yeux comme s’il communiquait silencieusement avec l’insecte.

– Qu’est-ce que tu fais ? osé-je demander.

– J’écoute. Ce petit être a traversé des kilomètres pour arriver ici. Il s’est nourri du nectar des fleurs sauvages. Il ne connaît ni peur ni haine. Il existe simplement pour être.

Je reste silencieux, impressionné, mais aussi déstabilisé. Ankhe rouvre les yeux.

– Les humains de ton époque ont oublié cela. Ils se sont placés au sommet d’une chaîne qu’ils ont eux-mêmes créée. Mais désormais, nous avons compris que cette chaîne est un leurre. Nous sommes tous des maillons d’une même spirale.

Le papillon s’envole et se met à tourner autour de moi, son mouvement dessinant dans l’air des ondulations que je ressens comme un courant doux et apaisant. Chaque battement d’aile semble laisser derrière lui une infime empreinte lumineuse, presque musicale, qui s’efface doucement dans l’espace. Je reste ébahi, entièrement pris par la scène. Ankhe se dirige lentement vers le vieil arbre qui trône au centre de la place. Il désigne un des bancs et m’invite à m’y asseoir. Il pose la main sur le tronc.

– C’est comme cet arbre, il ressent ta présence. Il ne te parle pas avec des mots, mais il te perçoit. Si tu apprends à l’écouter, tu pourras ressentir sa patience, sa force, sa sérénité.

– Je ne suis pas sûr de savoir faire ça…

– Essaie. Pose ta conscience en lui. Ne pense à rien d’autre et écoute avec ton âme.

J’hésite. Je ne vois pas comment faire. Je regarde l’arbre et je sens une réticence en moi. Je ne sais pas comment le voir autrement qu’un arbre, aussi magnifique qu’il puisse être. Ankhe semble le comprendre et ajoute :

– Cesse de le considérer comme une potentielle poutre de charpente ou un futur meuble. Considère-le comme un être à part entière et ressens-le.

J’hésite encore mais je finis par poser mon attention sur le tronc. Je ferme les yeux et prends une grande inspiration. Au fur et à mesure que j’augmente ma concentration, je ressens quelque chose d’indescriptible qui en émane, une pulsation douce, comme un battement de cœur ralenti ou une respiration lente. Ce n’est pas une sensation tactile mais une onde douce et subtile qui résonne dans mon être, s’harmonisant avec chaque fibre de ma conscience. J’ouvre les yeux, troublé.

– Je… Je crois que je ressens quelque chose. C’est étrange et pourtant cela m’apaise.

Ankhe sourit et s’assoie à côté de moi sur le banc en croisant les jambes.

– Ce n’est que le début. Lorsque tu comprendras pleinement que tu fais partie de ce tout, que chaque être autour de toi est une extension de toi-même, alors tu commenceras à voir le monde tel qu’il est vraiment.

Nous restons ainsi silencieux un long moment. Mon regard se perd dans la lumière dorée du soleil couchant. Les rayons glissent entre les branches et viennent toucher ma peau avec une douceur qui me surprend. La chaleur est stable, régulière, presque méthodique, et elle s’installe en moi sans effort. Ma respiration se cale sur ce rythme simple. Mes épaules se détendent, ma nuque se relâche et un apaisement discret s’étend depuis le centre de ma poitrine jusqu’à mes mains posées sur mes genoux. Tout se dénoue lentement, sans que j’aie besoin de forcer quoi que ce soit. Autour de moi, les bruits prennent une autre texture. Le froissement des feuilles, les pas lointains dans le sable, les éclats feutrés du vent contre les pins… tout est présent, mais rien ne cherche à s’imposer. Le monde maintient une distance respectueuse, laisse une place. Je reste immobile. La lumière baisse, devient plus dense et le sol retient encore la chaleur du jour. Une tranquillité simple s’installe, une sensation qui ne doit rien à la réflexion ni à l’analyse. Elle est là. Elle s’étend. Dans cette clarté qui décroît, mon esprit trouve enfin un point d’appui. Les pensées se rangent d’elles-mêmes. Je me sens plus stable, plus net, plus entier. Je n’attends rien. Je n’interroge rien. Je reste là, le temps que le soleil termine sa course, sans chercher à retenir la moindre image. Je prends doucement conscience que tout ce que j’ai appris jusque-là, tout ce que je crois savoir sur la vie, n’est en fait qu’une fraction de la vérité. Une vérité bien plus vaste, bien plus belle, mais aussi bien plus exigeante. Je murmure pour moi-même :

– Si tout est connecté… alors tout a une conséquence.

Le regard d’Ankhe se perd dans le vide devant lui.

– Exactement. Mais cette vérité, William, est aussi une liberté.

Un souffle soudain traverse la place, dispersant les papillons en une explosion de couleurs virevoltantes. Nous sortons tous deux de notre rêverie alors qu’une silhouette surgit dans notre champ de vision. Une femme d’une quarantaine d’années, à la beauté saisissante, s’avance gracieusement vers nous. Ses cheveux longs, d’un brun profond, tombent en une cascade soyeuse, maintenus à leur extrémité par un ruban turquoise. Elle porte une tunique ample, semblable à celle d’Ankhe, mais ceinturée par une bande de tissu assortie à son ruban, ajoutant une élégance simple à son allure. Ses traits sont à la fois doux et affirmés et une aura de sérénité émane d’elle, comme si elle portait en elle la paix du monde qui l’entoure. Elle se penche vers Ankhe avec un sourire entendu et pose délicatement ses mains de chaque côté du visage masculin. Puis, sans un mot, elle approche lentement son front du sien, les yeux fermés. Ankhe ferme aussi les yeux et se penche doucement vers elle, jusqu’à ce que leurs fronts se touchent. Ils restent ainsi immobiles un long moment et je perçois leur amour comme une marée douce et infinie, une étreinte de bonheur qu’aucune tempête ne saurait troubler. Elle finit par relever son visage pour planter son regard dans le sien. Je devine qu’ils se parlent par la pensée mais je ne perçois aucun mot, aucun son. Ils restent ainsi de longues minutes que je n’ose interrompre. Elle finit par se relever complètement et se tourner vers moi, le visage paisible et souriant. Elle me regarde avec présence et, un bref instant, j’oublie qui je suis et son regard me traverse avec une intensité désarmante.

– Bonjour William, je m’appelle Liy. Nous nous sommes déjà parlé.

Mon cœur bondit dans ma poitrine. Cette voix suave et chaude, bien sûr que je la reconnais. Le souvenir de nos conversations pendant mes premières méditations me revient aussitôt. Je me lève et m’incline en face d’elle.

– Bonjour Liy, je suis enchanté de vous rencontrer en conscience.

Elle rit et se tourne vers son compagnon.

– Cela fait une éternité qu’on ne m’a pas vouvoyée !

Ankhe sourit et m’adresse un salut.

– Je te laisse entre bonnes mains, William. Vous avez des choses à vous dire.

Je lui rends timidement son salut et déjà il s’éloigne à grandes enjambées. Liy, les bras le long du corps, effectue des mouvements compliqués avec ses doigts comme le faisait régulièrement son compagnon lors de notre première rencontre. Ce n’est donc pas un tic que je prêtais à Ankhe. Il y a probablement une explication rationnelle à ces gestes répétés mais, pour le moment, je n’ose pas lui demander.

– Tu dois prendre conscience que tout le monde ici peut percevoir tes pensées, réagit-elle aussitôt. Cela va d’ailleurs consister en notre première leçon. J’ai bien entendu ta question et t’y répondrai plus tard. Pour le moment, suis-moi.

Elle tourne les talons et se dirige vers un large bâtiment aux abords de la place du village. Je la suis. Quelques mètres plus loin, elle ralentit pour m’inviter à admirer l’imposante bâtisse. Face à nous, un porche de bois, sculpté de motifs entrelacés et de runes anciennes, marque l’entrée du bâtiment et nous accueille avec gravité. Le lieu me fait penser à ce genre de maison longue du temps des vikings, ces vastes halles couvertes en bois et en chaume où le clan se réunissait quotidiennement pour festoyer et prendre des décisions. Il se dresse au centre du village comme une grande arche vivante, fusionnant à la perfection avec la nature qui l’entoure. Ses colonnes principales, taillées dans le tronc lisse de chênes centenaires, donnent l’impression que l’édifice a jailli de la terre elle-même. Le toit, fait de larges feuilles tressées et de fibres naturelles finement entremêlées, forme une voûte protectrice qui s’étire doucement vers le ciel, comme les ailes d’un oiseau prêt à s’envoler. Les rayons du soleil, filtrés à travers les ouvertures soigneusement disposées, laissent danser des motifs mouvants de lumière et d’ombre sur les murs de terre crue et de bois. Juste au-dessus de la porte, mon attention est soudain attirée par une sorte de pierre polie sertie dans le bois. Sa forme de spirale accroche les rayons du soleil couchant et les renvoie de façon éparse sur la place du village, provoquant des éclats et des reflets de lumière un peu partout. Je suis sidéré quand je prends conscience que c’est le même symbole porté au cou par Ankhe et par le vieil homme sur ma plage. Je me tourne aussitôt vers Liy et distingue le même pendentif sur elle, bien que le sien soit plus petit, plus fin et à demi caché sous sa tunique. Serait-ce là le symbole du clan des Brevelles ? Un signe de ralliement ou d’appartenance ? Comme d’habitude, elle perçoit mes pensées.

– Oui, c’est notre symbole, répond-elle. Il est issu de travaux sur la conscience humaine effectués à peu près à ton époque et qui ont énormément contribué à la constitution de notre clan. Nous utilisons ce symbole pour nous rappeler constamment que tout est lié.

Sans attendre ma réponse, Liy glisse à l’intérieur du bâtiment, son pas léger effleure le sol, en rythme avec le lieu. Je jette un dernier regard sur la pierre polie au-dessus de ma tête et passe le porche à mon tour. L’entrée, large et accueillante, est flanquée de gravures fines représentant des entrelacs d’arbres, d’animaux et de constellations, évoquant l’unité du vivant. Aucune porte ne la ferme, ce lieu semble ouvert à tous ceux qui en respectent la vibration. À l’intérieur, l’air est empli d’un parfum de fleurs séchées et de résines. Une douce chaleur semble émaner du sol lui-même, recouvert de tapis en fibres végétales et de peaux épaisses. De multiples coussins, dont aucun n’a la même couleur qu’un autre, invitent chacun à s’asseoir où bon lui semble. Le centre est occupé par un vaste espace circulaire où crépite un feu doux, alimenté par du bois d’aromates, libérant des effluves de lavande et de sauge. Ce foyer central ne brûle pas pour cuire des aliments ou réchauffer les corps, mais pour nourrir l’âme collective, un rappel visuel de leur conscience partagée. Au-dessus, une large ouverture conique laisse s’échapper la fumée et les étoiles commencent déjà à se rendre visibles à travers cette fenêtre vers l’infini. Tout autour, des sièges tissés, simples mais élégants, encerclent les lieux. Ils sont faits de matériaux visiblement simples et semblent porter l’empreinte de ceux qui s’y sont déjà assis. Les murs, eux, sont vivants : des lierres grimpants et des jasmins sauvages y prospèrent, mêlant leur croissance naturelle à des fresques gravées racontant l’histoire du clan. Certaines gravures semblent anciennes, leurs lignes patinées par le temps, tandis que d’autres sont plus récentes, leurs contours encore nets et vibrants. Près de l’entrée, une scène représente la fondation du clan avec un petit groupe d’hommes et de femmes debout en cercle autour d’un arbre majestueux. Leurs mains tendues les unes vers les autres, forment une chaîne d’unité. Plus loin, une autre fresque montre une migration, des silhouettes humaines avançant à travers des plaines arides, leurs regards tournés vers un horizon ensoleillé porteur d’espoir. À intervalles réguliers, des scènes de la vie quotidienne viennent adoucir les récits épiques : des enfants jouant avec des insectes, des adultes tissant des étoffes, un androïde tendant un fruit mûr à une vieille femme assise. Chaque gravure est un fragment d’histoire, une fenêtre ouverte sur le quotidien et les aspirations du clan. Un panneau, plus imposant que les autres, occupe un mur entier. Il représente une vision céleste : un réseau complexe de lignes et de cercles qui semblent relier des étoiles, des planètes et des êtres vivants. Au centre, une spirale lumineuse évoque cette fameuse conscience collective que Liy vient de me décrire. Je reste figé devant cette œuvre, fasciné par le détail et la profondeur du symbole. Je sens une émanation presque palpable pulser de la pierre gravée, comme si elle cherchait à me murmurer une vérité que je peine encore à saisir. Ici et là, des niches abritent des objets de savoir : des cristaux gravés, des écrits anciens ou encore des petits outils dont l’utilité m’échappe. Une de ces niches contient ce qui semble être un automate, à moitié dissimulé sous une étoffe tissée. Ou, peut-être le prototype d’un des premiers androïdes. Tout, dans ce lieu, parle d’harmonie entre la nature, la technologie et la spiritualité. Ce lieu n’est pas seulement une maison commune, c’est un sanctuaire. Un lieu où nait l’esprit collectif. C’est ici que les rêves sont murmurés et que les décisions prennent forme. Cet espace semble respirer en accord avec le monde, comme si les murs eux-mêmes étaient imprégnés de la conscience du clan.

– J’imagine aisément ta surprise considérant d’où tu viens.

Je me tourne vers Liy. Son sourire, calme et entendu, semble témoigner de sa satisfaction à voir l’effet que cet endroit a sur moi.

– Ce lieu ne fait qu’amplifier ce que nous portons déjà en nous, explique-t-elle. Ici, chaque pensée, chaque vibration trouve sa place dans l’équilibre du tout. C’est notre lieu central. On l’appelle le Heall.

Je me sens à la fois émerveillé et étrangement démuni. Jamais auparavant je n’avais ressenti une telle cohésion. Pourtant, une petite voix en moi murmure que je n’en fais pas encore partie. Ce n’est pas seulement la sérénité de l’atmosphère, la palette des couleurs ou encore les délices olfactifs, on dirait que chaque objet, chaque élément œuvre de concert à parfaire l’ambiance globale. C’est au niveau vibratoire que tout se joue, je le conçois pleinement maintenant. En émettant cette dernière pensée, je sens l’harmonie m’effleurer. Quelle force ! Quelle magie ! On ne peut que se sentir humble en ce lieu, l’égo s’efface de lui-même.

Comme une enfant, Liy saute à cloche-pied vers le centre de l’immense pièce. Elle s’assied sur l’un des coussins disposés autour du foyer central et m’invite à la rejoindre. Je m’installe face à elle, les jambes croisées, essayant de m’aligner avec son calme. Le feu doux au centre projette des ombres dansantes sur les murs, tantôt oranges, tantôt bleues, créant une ambiance presque hypnotique.

– William, tu ressens déjà ce lieu, n’est-ce pas ? me demande-t-elle en plongeant ses yeux profonds dans les miens.

Je hoche la tête, incapable de formuler davantage.

– Ce que tu perçois, poursuit-elle, ce n’est pas seulement la sérénité ou la beauté de cet espace. C’est la vibration qui nous unit tous. Chaque être, chaque objet et surtout chaque pensée émet une fréquence unique. Ces fréquences interagissent, s’harmonisent ou se heurtent, mais elles sont toutes des manifestations de la même énergie fondamentale.

– De l’énergie ? Comme… des ondes ?

J’ai lu quelque part cette métaphore entre les ondes énergétiques et la surface de l’eau quand on y jette un caillou.

– Oui, des ondes, si tu veux. Mais ce n’est pas seulement une notion physique. C’est plus vaste, plus profond. Tout ce qui existe dans l’univers, du plus petit atome à la plus grande galaxie, est fait de cette énergie. Toi aussi, William. Et cette énergie, nous l’appelons la Source.

Elle tend une main vers le feu au centre de la pièce. Les flammes dansent doucement, changeant subtilement de teinte, comme si elles répondaient à son geste. Mon regard est attiré par leurs mouvements, presque hypnotisé.

– Observe ces flammes. Elles ne sont pas uniquement là pour éclairer ou réchauffer. Elles vibrent avec nous, elles amplifient nos pensées, nos émotions. Ici, nous avons appris à harmoniser nos fréquences avec celles de tout ce qui nous entoure. C’est cela qui nous permet de vivre en paix.

Liy me fixe avec une intensité douce mais pénétrante. Je reste silencieux un instant, tentant de tout assimiler mais un aspect bloque ma réflexion.

– Mais si tout est onde, tout est énergie, demandé-je, comment tu expliques que la matière soit tangible, palpable ?

– Parce que tu la ressens avec tes cinq sens, répond-elle sans me laisser le temps de finir ma phrase. Considère la matière au niveau quantique. Les atomes, les quarks, les électrons… tout se comporte à la fois comme particule et comme onde tant que personne ne les observe. Tu saisis ?

– Heu… Observés… Tu veux dire avec des yeux humains ? Pourtant dans une pièce totalement privée de lumière, les objets continuent d’exister, non ?

– Bien sûr ! Parce qu’ils ont été préalablement observés. À un moment, une pensée en a défini leur existence.

Elle mime des guillemets avec les mains.

– Cette pensée s’est rangée ensuite dans, ce que l’on appelle, un égrégore. Et plus cet égrégore grandit, en s’amplifiant de pensées similaires, plus la réalité inhérente devient tangible. C’est ainsi que le monde du vivant crée la réalité qui l’entoure.

Je crois que je viens de comprendre quelque chose. Je lève la paume de ma main vers elle pour me laisser le temps de cogiter. Je regarde au plafond et mes paroles ralentissent d’elles-mêmes pour suivre le cours de mes réflexions.

– Si comprends bien… et si j’extrapole… Les pensées, nos pensées, créent notre réalité ?

Elle lève aussitôt les deux mains en l’air.

– Bingo !

– Mais non, ce n’est pas possible, objecté-je. Si c’était le cas, je pourrais avoir la vie que je souhaite, sans me poser de question. Si c’était si facile, ça se saurait non ?

Elle éclate de rire.

– Ha ! C’est la stricte vérité et c’est aussi simple que ça. C’est une des lois de la Source. Sais-tu pourquoi cela ne semble pas encore fonctionner dans ton monde ?

Je fais non de la tête.

– Parce que vous n’y croyez simplement pas. Vous n’y croyez pas pleinement, en conscience. D’un côté, vous pensez à un désir positif et aussitôt, de l’autre, votre inconscient ou votre égo vous convainc que ce n’est pas possible, que vous n’en êtes pas capable ou que vous ne le méritez pas. Je ne te parle pas des pensées conscientes. Je parle des pensées inconscientes, celles qui sont embourbées de peurs et de croyances. Une fois qu’on a saisi ceci, le bonheur individuel et collectif devient accessible. Pas par magie, pas en un claquement de doigts, mais parce qu’on cesse de nourrir les égrégores qui nous détruisent.

Je reste la bouche ouverte un instant. Mes dents s’entrechoquent quand je la referme en fronçant les sourcils.

– William, reprend-elle, sais-tu pourquoi tu es capable de venir ici, dans ce lieu qui existe pourtant en dehors de ton temps ?

– À vrai dire, non… hasardé-je. Je n’ai pas compris pourquoi ni comment. Je pense que c’est lié à la méditation, non ? Que c’est peut-être un voyage de l’esprit ?

Elle esquisse un sourire.

– C’est bien plus que cela. Si tu peux être ici, c’est parce qu’une partie de toi appartient déjà à ce monde. Tu ressens cette place comme si elle était tienne, car elle l’est, en un sens.

Elle marque une courte pause.

– En fait, il s’avère que Ankhe est une incarnation de toi-même dans un possible futur.

Je reste figé. Une incarnation future ? Moi ?

– Comment est-ce possible ? murmuré-je la gorge sèche.

– Le temps, William, n’est pas linéaire comme vous le concevez dans ton époque. Il est lui aussi une série de vibrations, une mélodie infinie jouée sur les cordes de l’Univers. Tout existe au même instant, absolument tout. Ton âme, cette conscience qui voyage ici, résonne sur la même fréquence qu’Ankhe. C’est cette connexion qui te permet de nous rejoindre.

Je tente en vain d’assimiler ses paroles, même si leur sens défie tout ce que je crois savoir. Elle perçoit mon trouble.

– Ce que tu dois comprendre, poursuit-elle, c’est que tout est énergie. Chaque pensée, chaque émotion, chaque choix émet une vibration. Ok ?

Elle mime en même temps des deux poings fermés, les pensées qui rebondissent.

– Ces vibrations, poursuit-elle, se propagent et influencent tout autour de toi, à chaque instant de ta vie. C’est ainsi que tu crées ta réalité. Lorsque tu vibres en harmonie avec la Source, tout devient possible.

– Ce n’est pas donné à tout le monde, ça… Et si je n’arrive pas à.… harmoniser ces vibrations ?

Liy sourit avec bienveillance.

– Cela demande du temps et surtout de la pratique. Mais tu as déjà fait un pas important en venant ici. Cette communauté, ce lieu, c’est un ensemble de vibrations accordées. En t’y connectant, tu accordes ton propre instrument. Ankhe est là pour te guider, tout comme je le fais aujourd’hui.

Un silence s’installe entre nous, ponctué par le crépitement des flammes. Je sens le poids de cette révélation, mais aussi une étrange légèreté. Si tout est énergie, alors peut-être ai-je une chance de me transformer et de comprendre ce nouveau monde qui m’attire tant.

– En revanche, reprend-elle au bout d’un moment, pour t’intégrer pleinement dans notre état vibratoire, tu dois aussi apprendre à cacher tes émotions et tes ressentis, ils n’appartiennent qu’à toi. Or, actuellement, tu nous les envoies sans aucun filtre et nous les ressentons toutes pleinement, comme tu as pu le constater. Pour nous, tu es un enfant qui n’a pas encore appris les bases du grand fonctionnement vibratoire.

Je rougis, j’ai soudain honte. Liy regarde au sol pour m’épargner davantage d’embarras.

– Comment je peux faire ça ?

Elle devient, un instant, laconique.

– Apprends.

Je fronce les sourcils et un nœud se forme dans ma poitrine. Je me sens effectivement comme un enfant qui n’a pas fait correctement ses devoirs et se fait réprimander par son professeur.

– Apprends à ne pas entrer dans tes émotions. Elles ne sont pas toi. Elles sont juste une expression vibratoire en réponse à tes pensées. Surveille tes pensées et tu les contrôleras. D’une part, tu deviendras silencieux à nos oreilles intérieures et, d’autre part, tu deviendras maître de tes ressentis.

Elle se lève, remet de l’ordre dans sa tunique avec application. Je me lève à mon tour. Son visage est empreint d’une douceur infinie mais ses paroles résonnent en moi comme des détonations.

– William, tu dois comprendre que ta présence ici n’est pas le fruit du hasard. Ankhe et toi êtes liés au-delà du temps, au-delà des dimensions.

– Que veux-tu dire ?

– Vous êtes, tous deux, la même âme. Il est ton incarnation dans un de tes possibles futurs et tu es la sienne dans un de ses possibles passés, celui où tu acceptes pleinement ce que tu es, où tu embrasses la vérité de ta nature vibratoire. C’est pour cela que nous avons choisi de te contacter. Tu as, dans ton monde, une tâche à accomplir, quelque chose à enclencher afin de déterminer le futur que tu vois actuellement autour de toi.

Je reste figé, incapable de répondre. Liy s’approche et pose une main légère sur ma joue. Je sens la chaleur de sa paume malgré mon immatérialité. Mais ce contact n’apaise pas le tourbillon de pensées qui m’envahit. Une part de moi refuse cette révélation, la rejette en bloc. Une autre part, plus profonde, sent une résonance intime avec ses mots, une vérité enfouie mais que je ne veux pas affronter.

– Pourquoi… pourquoi maintenant ? Pourquoi moi ?

Elle ferme les yeux un instant, comme pour capter un message invisible, avant de répondre calmement.

– Parce que tu es prêt, William. Tu dois maintenant faire l’effort de te voir tel que tu es, sinon Ankhe ne peut exister. Il a besoin de toi. Son incarnation dépend de la tienne. Mais cela te terrifie encore et cette peur te coupe du lien qui te relie à nous.

Mon cœur s’accélère. Cette affirmation déclenche en moi une panique incontrôlable. Je sens la chaleur bienveillante du Heall s’estomper peu à peu. Les couleurs s’effacent, les sons deviennent distants, comme étouffés. Liy me regarde avec une infinie compassion.

– Respire, William. Reste avec nous.

Mais je ne peux pas. La panique grandit, me prend à la gorge. Une partie de moi veut fuir, revenir à ma réalité, même si je sais qu’elle ne m’apportera aucun réconfort. Je veux rester ici, mais je sens que je suis en train de perdre pied.

– Je… Je ne veux pas partir…

Et pourtant, la lumière dorée du Heall disparaît entièrement, remplacée par l’obscurité familière de mes paupières closes. Un vent frais caresse mon visage. J’ouvre les yeux et découvre le ciel gris au-dessus de moi. Je suis de retour sur mon rocher. La mer est agitée, ses vagues se fracassent sur les pierres avec une force brute. Je pousse un cri de frustration, les poings serrés, la gorge nouée. Lucky, alerté par ma voix, accourt depuis les buissons. Sa truffe humide vient se blottir contre ma main tremblante. Je sens ses yeux me scruter, inquiets. Il a compris que quelque chose ne va pas. Je respire profondément, le regard tourné vers l’horizon. Je ne peux pas nier ce que je viens de vivre. Je ne peux pas oublier ce que Liy m’a dit et une vague de culpabilité m’envahit. Je veux désespérément retourner auprès d’eux, auprès d’Ankhe mais visiblement quelque chose doit encore évoluer en moi avant que je puisse vraiment être des leurs. Je ferme les yeux, laissant le vent fouetter mon visage. Le son des vagues, leur fracas répété sur les rochers, résonne avec ma propre confusion. Je sens une brûlure sourde dans la poitrine, un poids que je n’arrive pas à nommer. J’ai froid. J’ai mal. Je ne sais pas où, mais j’ai mal. La nausée monte sans prévenir. Mes muscles se crispent. Je glisse du rocher, les doigts qui cherchent un appui inutile, et je tombe à genoux dans le sable trempé. L’acidité me remonte à la gorge et je vomis, violemment, le goût amer de bile et de sel envahissant ma bouche. Le sable colle à mes mains moites. L’air sent l’algue et la pluie. Je reste penché en avant, le souffle court, incapable de reprendre le contrôle. Mes yeux piquent. J’ai l’impression que quelque chose s’est brisé en moi, ou s’est ouvert trop vite. Lucky pousse un gémissement bref, inquiet. Je sens son flanc chaud contre mon bras et, pendant un instant, c’est la seule chose qui me rattache au monde. Je crache une dernière fois, essuie ma bouche du revers de la main et relève la tête vers l’horizon gris. Les vagues frappent toujours, implacables. Je suis revenu. Je suis seul sur ce rocher. Et pourtant, une partie de moi est restée là-bas. Je murmure, la voix cassée :

– Je n’étais pas prêt.

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La tempêteChapitre 4

« La Nouvelle Humanité, le clan des Brevelles »
Chapitre 4

Après la traversée de l’orage, William vacille entre deux mondes. Sur la plage jonchée de débris, un vieil homme et une spirale ravivent le fil du sens. Une certitude s’impose alors : retourner au rocher, affronter l’inconnu et revoir Ankhe.

ConvergenceChapitre 3

« La Nouvelle Humanité, le clan des Brevelles »
Chapitre 3

William franchit enfin le seuil : au cœur du village des Brevelles, entre voix bienveillantes et révélations troublantes, sa perception du réel vacille.

La RetraiteChapitre 2

« La Nouvelle Humanité, le clan des Brevelles »
Chapitre 2

Seul face à l’océan, William cherche le silence. Mais ce qu’il trouve dépasse tout ce qu’il pouvait imaginer.

L’appelChapitre 1

« La Nouvelle Humanité, le clan des Brevelles »
Chapitre 1

William, employé discret d’un cabinet fiscal, voit sa routine basculer le jour où une voix mystérieuse s’invite dans son esprit. Ce qu’il pensait être un simple malaise déclenche un basculement profond. Et si ce murmure n’était pas une illusion, mais l’éveil d’un autre réel ?