Il y a des lieux qui, plus qu’un décor, deviennent des repères. Des lieux qui nous façonnent, silencieusement, à force de les parcourir, de les regarder vivre, saison après saison. Pour moi, ce lieu, c’est le Bois de la Cambre.
Cela fait vingt-cinq ans que je vis autour de lui. Un quart de siècle. Et pourtant, pas un jour ne passe sans que quelque chose m’émerveille encore. Une lumière rasante entre les troncs au petit matin. Le ballet des feuilles mortes en automne. La fraîcheur inattendue d’un sous-bois en été. Le silence feutré des pas sur la neige en hiver. Chaque jour est une version nouvelle d’un poème que je ne me lasse pas de relire.
C’est là, dans ces cinq kilomètres quotidiens, que je trouve mon souffle. Une respiration profonde, physique, sensorielle, qui m’ancre dans le réel. Ce n’est pas une promenade, c’est un rituel. Et le guide en est toujours le même : mon chien. C’est lui qui choisit le chemin, le détour, la pause imprévue. Lui qui m’entraîne là où je n’aurais pas pensé aller. Parfois je me demande s’il ne suit pas un fil invisible que je serais incapable de percevoir. Je marche. Il décide. Et tout devient simple.
Il y a quelque chose d’immédiatement apaisant dans le fait de retrouver la nature, intacte ou transformée, mais toujours là. Ce lien-là, je le cultive chaque matin, comme on cultiverait une conversation sans mots avec le vivant. C’est une façon de dire : je suis encore là, moi aussi.
Et puis, il y a le Kiosque.
Posé comme un phare au milieu du bois, il est devenu mon port d’attache. Un lieu de calme, de continuité, où le temps semble ralentir. J’y ai mes repères, mes habitudes. J’y traine souvent, entouré d’étudiants en concentration silencieuse, de sportifs en pause, de promeneurs de passage. Nous sommes nombreux à y trouver refuge, sans jamais se bousculer. Il y règne une atmosphère particulière — paisible, bienveillante, presque familière.
Avec le temps, des liens se tissent. Je connais les prénoms des serveurs, ceux des habitués, parfois même les histoires qui les ont menés jusqu’ici. Le Kiosque devient un carrefour invisible : on y croise des nationalités diverses, des fragments de vies, des idées, des rires partagés autour d’un café. Les chiens se reconnaissent, les humains finissent par se saluer. C’est un point de rencontre, de reconnexion.
Ce que m’offre le Bois de la Cambre, ce n’est pas seulement un cadre bucolique ou une respiration dans la ville. C’est un ancrage. Une fidélité du monde extérieur à laquelle je peux répondre, chaque matin, par ma propre présence. C’est une manière de me rappeler que je fais partie d’un tout plus vaste, plus lent, plus ancien que moi. Un tout qui m’accueille sans rien demander.
Dans un monde où tout semble s’accélérer, où les écrans grignotent nos regards et nos rythmes, cette immersion quotidienne dans la nature est devenue ma forme de résistance douce. Un choix d’habiter pleinement le présent. De le sentir. De l’aimer.
Alors oui, j’habite autour du Bois de la Cambre depuis vingt-cinq ans et je ne m’en suis jamais lassé. Je crois même que c’est lui qui continue de m’habiter.