Partout en Belgique et ailleurs, des groupes d’humains se rassemblent en marge des modèles dominants, portés par un même souffle : celui de vivre autrement. Ce ne sont pas toujours des rêveurs, ni des militants. Plutôt des gens ordinaires traversés par une évidence intime, parfois brutale, que la vie telle qu’elle se présente aujourd’hui ne leur convient plus. Alors ils cherchent. Un lieu. Une manière. Une densité nouvelle dans la relation à soi, aux autres, à la terre. C’est ainsi que naissent les micro‑communautés, les écolieux, les habitats partagés. Elles n’ont pas de visage unique, pas de méthode universelle. Elles se créent à partir de la mémoire de ce qui manque.
Au bois de Pincemaille, dans le Hainaut, une ancienne zone de non-droit a été reconquise par la tendresse humaine. Là, au milieu des bouleaux, vivent en yourtes, roulottes et habitats légers des personnes venues de tous horizons. Le terrain ne leur appartient pas. Le bail est incertain. Mais l’élan est là. Ce qui frappe à Pincemaille, ce n’est pas la structure ou la gouvernance — encore flottantes — mais la puissance du lien. Des repas partagés, des projets de maraîchage, des cercles de parole. Et surtout, une rare mixité sociale. Ce n’est pas un repaire d’urbains diplômés venus chercher la paix entre deux retraites ayurvédiques. C’est un entrelacs d’êtres cabossés, sensibles, entiers, qui ont accepté d’exister sans filtre, dans l’imperfection du réel. Ils expérimentent ce que beaucoup redoutent : vivre sans murs, sans cloison, au milieu des autres.
D’autres projets ont une histoire plus longue, plus stable. À Marcinelle, dans les années 70, un lotissement expérimental a vu le jour sous l’impulsion de l’architecte Paul Petit et de familles désireuses de construire, ensemble, leur propre village. Chaque maison a été bâtie par ses habitants, dans une logique d’auto-construction partagée. On l’appelle encore aujourd’hui le Sart‑Saint‑Nicolas. Plus de cinquante ans après, les structures tiennent. La vie collective s’y est transformée, mais une culture de l’écoute et de la responsabilité circule encore dans les interstices. Ce qui a permis cette longévité n’est pas seulement l’organisation matérielle ou la rigueur architecturale. C’est, peut-être, le fait que dès le départ, l’engagement se voulait double : concret et symbolique. Construire une maison, oui, mais aussi se construire les uns avec les autres. Ce genre d’ancrage crée une mémoire collective qui résiste à l’usure.
Mais toutes les tentatives ne tiennent pas. Certaines s’effondrent à peine levées. D’autres stagnent dans une apparente harmonie qui n’est que surface. L’échec ne vient presque jamais d’un défaut de compétences ou d’un manque de bonne volonté. Il surgit plus souvent d’un décalage de fréquence. On croit partager un rêve, mais on ne vibre pas à la même intensité. Alors les décisions deviennent pesantes. Les réunions s’enlisent. Les élans se figent dans des non-dits. L’intuition s’étiole sous le poids de la méthode.
À l’étranger, des initiatives comme Ecovila Viva, au Brésil, montrent les limites d’un projet pensé sans souveraineté foncière. La communauté voulait vivre en permaculture, en lien étroit avec la nature et les savoirs traditionnels. Mais le terrain appartenait à un seul homme. Très vite, des tensions sont apparues. La dépendance silencieuse, l’asymétrie des rôles, les rêves étouffés par la réalité du pouvoir. Là encore, ce n’est pas la vision qui a manqué, mais la structure invisible qui la soutient.
Ce que révèlent ces expériences, c’est qu’un projet collectif n’est pas une solution toute faite, mais un champ vibratoire à cultiver. Il ne suffit pas de partager un potager pour habiter ensemble. Il faut accorder les rythmes, les besoins, les blessures. Il faut créer des espaces où la parole est fluide, où le conflit peut devenir source et où l’on accepte que la gouvernance ne soit pas une mécanique, mais une respiration.
La Nouvelle Humanité n’apporte pas de recette. Elle ne cherche pas à s’imposer comme modèle. Mais elle peut offrir une fréquence, une manière d’être ensemble qui prend soin de l’invisible autant que du visible. Elle peut rappeler qu’avant de partager un terrain, il faut peut-être s’accorder sur ce que signifie vivre en lien. Que l’autonomie ne se mesure pas en nombre de panneaux solaires, mais en qualité de confiance. Que la sobriété n’est pas le manque, mais la plénitude de ce qui suffit. Si demain tu souhaites, toi aussi, faire partie d’une communauté qui fait le pari de la reliance, alors ne commence pas par chercher un lieu. Commence par te demander quelle fréquence tu veux incarner. Le reste viendra. Ou pas. Et ce sera juste.
Sources :
- L’écovillage du bois de Pincemaille.
- Sart Saint-Nicolas de Paul Petit.
- 3 Reasons Why Intentional Communities Fail de Cynthia Tina – publié le 6 mars 2024.
- Ecovila Viva, la désillusion brésilienne.