Un après-midi récent, installé chez moi à travailler tranquillement sur mon roman, un bruit me sort brutalement de ma concentration : quelqu’un vient de sonner au parlophone. Je ne reçois personne aujourd’hui. Intrigué, je décroche :
– Oui, bonjour monsieur, il y a un sac posé sur un rebord de fenêtre de votre immeuble, ne serait-il pas à vous ? J’ai sonné partout mais vous êtes le seul à répondre.
Un instant de flottement puis je réponds que j’arrive. En sortant de mon appartement, je trouve un homme sur le perron, la quarantaine passée, vêtu d’un t-shirt rouge un peu défraîchi, avec une barbe mal rasée. Il me tend un petit sac en cuir vert qui semble bien rempli.
J’ouvre le sac et découvre deux paquets de cigarettes, un portefeuille, et surtout, plusieurs liasses de billets de 20 et 50 euros. Nos regards se croisent, perplexes. Une pensée fugace traverse mon esprit, sans doute nourrie par mes lectures policières : serait-ce l’argent d’un trafic quelconque ? Cette somme en liquide paraît clairement suspecte. Je confirme que le sac ne m’appartient pas. L’homme propose alors immédiatement d’appeler la police, ce que j’accepte sans hésiter.
Il sort son téléphone, hésitant une seconde avant de composer :
– Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai tendance à composer le 911 plutôt que le 101.
Nous rions ensemble, complices malgré la situation étrange. Je ne suis visiblement pas le seul à être épris d’histoires policières.
À l’autre bout du fil, l’agent demande à vérifier si une pièce d’identité se trouve dans le portefeuille. En l’ouvrant, je découvre pas moins de huit cartes bancaires, toutes portant le même nom mais avec des numéros de comptes différents. L’agent annonce qu’une patrouille arrivera sous peu.
En attendant les policiers, l’homme et moi discutons. Je remarque alors que le sac est un Louis Vuitton. Il me précise que malgré l’usure visible, ce cuir peut aisément être restauré, le sac vaut facilement mille euros à lui seul. Ce qui rend l’objet encore plus intrigant. À mesure que nous échangeons, j’apprends qu’il habite dans mon quartier, un voisin rentier qui s’occupe comme il peut et que je n’avais jamais remarqué auparavant.
Lorsque la patrouille arrive enfin, deux jeunes policiers en sortent. Le premier avance vers nous avec un sourire rassurant, tandis que l’autre reste en retrait, attentif. Nous leur expliquons la situation, et le policier inspecte le contenu du sac devant nous. Contrairement aux « deux ou trois cents euros » que nous avions initialement estimés, il révèle qu’il s’agit plutôt d’une somme proche de mille euros. Même lui semble décontenancé. Il remarque également une clé au fond du sac, ajoutant encore au mystère.
En quittant les lieux avec le sac, l’agent nous remercie chaleureusement de notre honnêteté. Je lui demande ce qu’il pense de l’origine du sac, toujours préoccupé par l’idée d’un trafic quelconque. Le policier suggère qu’il appartient probablement à l’épouse ou à la compagne de l’homme identifié sur les cartes bancaires, tombé d’une poussette ou égaré puis ramassé par un passant.
Nous nous séparons cordialement avec mon voisin. Il me serre chaleureusement la main : « Cher voisin, au plaisir ! »
Je reste ensuite immobile, seul sur le trottoir, assailli par des pensées contradictoires. Ai-je vraiment fait le bon choix ? Aurions-nous dû garder l’argent et remettre uniquement le sac aux policiers ? Et ces agents eux-mêmes, pourraient-ils être tentés de profiter discrètement de l’aubaine ? Une seule question me taraude finalement : qu’auriez-vous fait à ma place ?
Image générée par Midjourney.